Hommage au Dr Jean-Pierre Roux

Nous avons la tristesse de vous faire part du décès du Dr Jean-Pierre Roux, le vendredi 2 juin 2023. Il est parti paisiblement dans sa 92ème année ; avec lui notre association perd son père fondateur, un Maître éclairé, et pour beaucoup d’entre nous un ami.

En annexe, voici sa biographie sous forme d’hommage, écrite par le Dr Marc Petitpierre il y a deux ans.

Jean-Pierre Roux

L’histoire officielle de l’acupuncture à Genève commence avec le Dr Jean-Pierre Roux.

Né en 1931, « Roux », ou « le maître », comme nous l’appelons familièrement, est un personnage original, aux intérêts éclectiques.

Il est tout d’abord pianiste virtuose, et travaillera pendant des années comme enseignant du primaire, très loin de la médecine chinoise. Mais comme souvent, les destinées sont faites de petits événements : il entend parler pour la première fois de l’acupuncture par sa professeure de piano, alors qu’il prépare sa virtuosité. Il a alors 21 ans. Son professeur lui raconte avoir été débarrassée facilement d’un lumbago par des aiguilles que lui a posées le Dr Pierre Schmidt, homéopathe et acupuncteur, probablement le seul à pratiquer cette thérapie à Genève à cette époque.

D’après J-P Roux, le Dr Schmidt aurait connu Soulié de Morant, qui lui aurait fait don de quelques aiguilles en or…Cet événement, a priori banal, éveille chez Jean-Pierre un intérêt pour l’acupuncture, qui ne se démentira jamais, mais devra attendre longtemps avant de se réaliser.

Après 10 ans d’enseignement, Jean-Pierre change de voie et se lance dans les études de médecine ; il a alors 31 ans. Le professeur Rémy Baumann assure les cours d’anatomie pour les étudiants de deuxième année ; il y parle des zones réflexes de Weihe, que Roux met tout de suite en relation avec des points d’acupuncture bien connus. Ce lien entre médecine occidentale et médecine chinoise le conforte dans son intérêt pour cette dernière ; il en discute avec le professeur, qui l’encourage à poursuivre cette recherche.

Les sources concernant l’acupuncture sont rares à Genève à cette époque. Jean-Pierre est mis en relation avec le Dr Schmidt par son professeur de piano, et obtient la permission de consulter chez lui trois ouvrages du Dr Niboyet, seuls livres alors disponibles à Genève à ce moment. Ces livres sont précieux ; il n’a pas l’autorisation de les sortir, et va profiter de ses vacances pour les recopier intégralement ; il les recevra plus tard en cadeau d’un radiologue qui quitte l’acupuncture pour l’homéopathie…  Il achète également pour 10 francs le petit livre du Dr H.Voisin,  « L’acupuncture du praticien », qui contient des formules de traitement. Avec confiance, il soigne une voisine, avec l’effet miraculeux qui caractérise souvent nos premiers traitements lorsqu’on ne réfléchit encore pas trop. 

Lorsqu’il demandera une place de stage en médecine aux HUG, chez le professeur Muller, chef de l’un des services de médecine, elle lui sera refusée, sous prétexte que le professeur a eu de « mauvais renseignements » à son sujet : en fait, il a entendu parler de son intérêt pour l’acupuncture, considérée alors comme une hérésie et une pratique de charlatans. Il sera par contre engagé par le professeur Mach, qui dirige l’autre service de médecine, et est intéressé par le parcours atypique de ce jeune interne. A titre anecdotique, il apprendra plus tard que le professeur Muller a été traité pour des lombalgies par un acupuncteur…

A 41 ans (1971), il ouvre son cabinet, pratique la médecine générale, mais aussi l’acupuncture. Il suit alors à Genève les cours du Dr Jean Borsarello, ancien médecin chef de l’armée de l’air française, l’un des pionniers de l’acupuncture en France (il est de tradition à l’époque, en relation avec l’histoire coloniale, que les médecins militaires aient des connaissances en acupuncture), et alors enseignant itinérant.

Jean-Pierre Roux a, à ce moment déjà, des connaissances assez avancées en acupuncture ; il remplace le maître lors de ses absences, et va finalement terminer à la demande des élèves la formation de sa volée lorsque Borsarello décide de ne plus venir.

Pour ne pas perdre cette somme de travail, il décide de dispenser à son tour ses connaissances ; mais, contrairement à Borsarello, il décide de réserver cet enseignement aux médecins. C’est le début historique de l’enseignement d’une acupuncture médicale à Genève, et les notes que Jean-Pierre accumule,  constamment actualisées en fonction de la parution chaque année de livres plus nombreux, vont servir de base au polycopié que nous avons eu dans notre formation.

Pour les élèves, Jean-Pierre a ce qu’on pourrait appeler le physique de l’emploi. Par un étrange mimétisme, il a pris un aspect oriental, et ressemble à un moine chinois : entièrement chauve, de taille moyenne, mince, avec des yeux auxquels des paupières tombantes confèrent un aspect asiatique ; pendant des années, il a fumé des beedies, qu’il utilise parfois comme des moxas pour chauffer ses aiguilles…Il approche à l’heure où j’écris des quatre-vingt-dix ans, et son aspect physique est étrangement inchangé.

Nous moquions un peu son sens de l’économie, mais c’est à la manière des vieux genevois : on ne jette rien. Ainsi toutes ses notes sont prises au dos de feuilles déjà partiellement utilisées, lettres reçues, publicités, etc. Mais on valorise la culture, et cette inclination à l’épargne s’applique également à la connaissance, qu’il accumule, et surtout garde en mémoire. Il connait tous les points, a réponse à tout…

Homme de culture, ses connaissances ne se limitent pas à la médecine ou à la pensée chinoise : il établit des liens. Ses cours sont parfois interminables, comme lorsqu’il développe pendant des heures sa théorie des quatre éléments, que j’ai encore de la peine à lire sans fatiguer aujourd’hui. Nous lui devons une très grande tolérance, sa capacité à reconnaitre les qualités des autres, et à favoriser leur développement. Il participera dès le début en dépit de son âge à l’enseignement au Burkina Faso.

Il n’a par contre aucun intérêt pour l’administration, n’a pas d’autre ambition que la connaissance et sa transmission ; son petit cercle d’élèves lui suffit ; il faudra l’arrivée de Robert Du Bois pour que l’association prenne réellement son essor.

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